DISCOURS DE NAJI HABRA : OSONS !

Discours prononcé par le recteur Naji HABRA à l'occasion de la séance académique de la rentrée 2017-2018, le 14 septembre 2017.

Monsieur le Ministre-Président de la Wallonie,

Madame et Monsieur les Vice-présidents et Ministres régionaux,

Monsieur le Gouverneur,

Messieurs les Recteurs,

Monsieur le Président du Tribunal de première instance de Namur,

Monsieur le Procureur du Roi de Namur,

Monsieur le député-Bourgmestre de Namur,

Révérend Père Provincial des jésuites,

Monsieur le Député fédéral,

Monsieur les Députés régionaux,

Messieurs les représentants des Ministres,

Madame et Messieurs les Directeurs-Présidents des Hautes Écoles,

Chers Collègues,

Chers Étudiants,

Chers Amis, chacun en vos titres et qualités,

 

Voilà qui est fait !

J’aimerais vous accueillir autrement, d’une façon plus simple et plus humaine… Ce ne sont pas nos titres qui comptent le plus.

 

Je reprends ce petit poème de Mahmoud Darwich, poète palestinien :

« Vous, qui vous tenez sur les seuils, entrez

Et prenez avec nous le café.

Vous pourriez vous sentir des humains… comme nous.

Vous, qui vous tenez sur les seuils,

Sortez dès le matin

Venez, nous serons rassurés d'être ensemble,

Des humains ! »

 

Nous sommes, avant tout, des hommes et des femmes.

 

En tant qu’homme, je remercie l’homme Yves Poullet, le recteur qui m’a précédé dans cette fonction. Il m’a remis les clés et la responsabilité de cette université ce matin même.

Cher Yves, heureusement que nous avons eu l’occasion d’évoquer tes talents et ton œuvre lors d’une belle cérémonie interne la semaine passée.

Autrement, ta modestie en aurait pris un sacré coup aujourd’hui.

Tu as toujours voulu une cérémonie d’ouverture pour toute l’université.

Je peux résumer ton œuvre en une phrase : tu es le recteur qui, après avoir permis à l’université (ou devrais-je dire aux facultés… c’était notre nom alors) de sortir des zones de turbulences et d’arriver à bon port, qui nous la remets. Tu nous remets l’université aujourd’hui, en état : une université ouverte à tous les possibles… Une université ouverte à tous les possibles. Merci Yves !

 

Notre université change. La société change.

Le monde change… On parle d’un monde en « transition ».

Et le défi qu’avec vous je voudrais relever est d’assurer la transformation de notre université pendant les années à venir. Ensemble, nous pouvons réenchanter notre université, la transformer pour l’inscrire durablement dans son rôle d’université au service d’une société elle-même en mutation continue.

La transition de la société est un terme très à la mode et, certes, très général.

 

 

 

Mais nous le prenons là au sens développé par Rob Hopkins, proclamé ici-même il y a un an Docteur Honoris Causa. Nous avions alors mis l’année académique précédente sur le thème de « Demain ».  Et bien, cette année, « osons » nous mettre ensemble pour assurer cette transition.

 

Pour Rob Hopkins, et toutes celles et ceux qui travaillent avec lui, la transition c’est, et je cite :

« La transformation positive de la société qui passe par la multitude de petits mouvements locaux, impliquant la base et visant tous à développer la résilience, c'est à dire, l’adaptation permanente au défi économique et écologique, mais visant aussi à renforcer la solidarité et les liens et à favoriser tout ce qui renforce l’autonomie ».  

Et c’est exactement cela le défi de la transformation de notre université, que je me propose de porter avec mon équipe.

 

Il s’agit pour notre institution comme pour la société, d’une transformation positive, il s’agit de durabilité : « inscrire notre université dans un avenir durable », ce qui implique l’adaptabilité, l’agilité. Il s’agit aussi de favoriser tout ce qui renforce les liens et l’autonomie.

 

C’est de cette transition-là qu’il s’agit. 

 

Il ne s’agit pas simplement d’un changement en surface, d’un changement de nos statuts, d’un nouveau mode de fonctionnement ou d’un nouveau recteur, fût-il « atypique » comme un journaliste a cru bon de me qualifier, ou d’un changement de l’équipe, choix qualifié d’audacieux…   Non, il faut aller plus loin. Ce ne sont là que les « instruments » de changement.

 

Le véritable défi du changement est la transition vers une université durable, solidement installée et suffisamment agile pour répondre aux besoins d’une société elle-même en transition.

Le défi est grand, il se réalise en des petits changements multiples mais cohérents et répondant à une vision claire que je vais développer.

 

 

En interne d’abord, et je commencerai par citer le défi de l’innovation pédagogique.

 

Nos approches pédagogiques innovantes. Elles sont multiples, variées et visent toutes une seule cible : l’adaptation de notre enseignement à la génération qui a évolué et qui évolue. Que l’on appelle “génération Y” ou “Z” une catégorisation discutable sans doute, mais une génération marquée par les 4 C (Communication, Collaboration, Connexion et Créativité) qui n’apprend plus comme avant. L’approche maître-élève fait place à des approches participatives, intégratives et connectées.  Ce sont de telles approches que nous allons encourager et multiplier.

Tel prof en économie qui pratique la classe inversée où l’étudiant prépare le cours en amont avant la séance qui sera alors consacrée à un travail collectif d’échange. Tel cours en physique où les étudiants construisent leur fusée qui volent au-dessus de la Citadelle (parfois pas), l’apprentissage par les pairs en physiologie, ou par équipe en VT, en histoire et ailleurs… Les boîtiers de vote qui ont fait leur apparition un peu partout, par exemple en médecine, l’étudiant est réactif tout au long du cours. Les profs qui sortent leurs étudiants de nos salles obscures pour les amener à la rencontre de la société, par exemple des étudiants qui se transforment en pédagogue en herbe et construisent des jeux de société à destination des élèves du secondaire sur la question de la migration. D’autres élèves construisent des vidéos de vulgarisation, nous allons voir un échantillon tout à l’heure.

 

Après notre mission d’enseignement, Je citerai le défi de la recherche. Une recherche qui, tout en maintenant un niveau d’excellence, une renommée internationale incontestée, malgré le niveau de financement, est… disons “modeste”. Une recherche donc, qui tout en maintenant un niveau d’excellence, est une recherche ancrée dans le réel et dans ce qui fait sens. Nos chercheurs travaillent dorénavant à travers 11 instituts de recherche, pratiquement tous interdisciplinaires. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelques mots tirés de certains de leurs titres :

  • la terre, la vie, l’environnement, l’écologie
  • la santé, le bien être humain et animal,
  • le texte, les langues  
  • les systèmes complexes
  • le numérique dans toutes ses dimensions techniques, managériales et sociétales.
  • la transition, le patrimoine
  • l’économie, la finance et les matériaux … On verra un exemple tout à l’heure de ces deux derniers
  • un institut philosophique, un autre pédagogique

Ces instituts produisent une quantité impressionnante de publications, obtiennent des prix prestigieux (je vais citer l’ERC de Catherine, la bonne nouvelle de cet été, d’autres bonnes nouvelle se succèdent).

Ces recherches restent ancrées dans ce qui fait sens pour la société : le problème du vieillissement, de la pauvreté, du développement, du handicap, la question des malentendants, les maladies métaboliques, l’énergie… Je ne peux pas tout citer, mais je serai particulièrement attentif à toute initiative qui mettra notre université en avant dans des recherches qui font sens.  Dans un monde en transition, le rôle de l’Université est de nourrir la transition en produisant de la recherche qui fait sens.

 

J’en viens à ce que l’on appelle la troisième mission de l’université, celle de service à la société. Et pour nous, Namurois, la société c’est d’abord Namur ! À ce sujet, permettez-moi de souligner le formidable travail d’ancrage local réalisé par Yves Poullet pendant ses 7 années de mandat et ce, en parfaite cohérence avec le message de la transition. Le passage des Facultés universitaires à l’Université de Namur s’est concrétisé notamment par des liens plus forts avec les acteurs de notre environnement. Les liens sont multiples :

  • à travers le Pôle namurois que nous avons bâti ensemble avec les hautes écoles et les écoles de promotion sociale, le PAN
  • à travers la structure d’enseignement collectif, Forma
  • à travers notre implication dans les structures économiques de la Ville, la Province, le Bureau économique et la plateforme Axud
  • et à travers nos collaborations continues en matières culturelles

Les liens sont là et ils continueront à se renforcer au niveau socio-économique, au niveau de la culture, du sport (un beau défi devant nous), de la mobilité et du développement durable (nous avons des beaux projets dans les cartons). Nous continuons à nous voir régulièrement et à maintenir une vision cohérente et globale d’une ville en marche, une ville d’innovation.

 

Mais le paysage de notre Université ne s’arrête pas à Namur. En externe maintenant, venons-en à « la » question : « Namur dans son paysage ! ». Situer Namur dans son paysage ? D’accord. Mais au fait, de quel paysage s’agit-il ? De celui du décret éponyme ? Le décret aussi complexe soit-il n’était-il pas censé répondre déjà en fixant le « paysage » ? Ou alors s’agit-il d’un paysage fantasmé, celui des piliers, les piliers du siècle dernier ? Je le qualifie de fantasmé, puisque que tout le monde affirme mordicus qu’il ne faut pas penser en piliers. Tiens… Ou alors on raisonne en « paysage géographique ». Notre grande Fédération Wallonie-Bruxelles se prête bien à un découpage, on parle de « bassins » géographiques (tiens, « bassins », encore un terme qui sent bon le charbon et l’acier). Mais là non plus la question n’est pas claire, puisque les pôles géographiques ne sont pas si géographiques que cela : les membres des uns se retrouvent membres dans les pôles des autres et inversement…

 

Avouons que c’est un peu brouillé.

 

Je veux bien parler du paysage, mais avec le souhait de poser les questions directement et d’une façon claire. Je veux partir de notre défi, le défi d’inscrire « durablement » notre université dans son rôle « universitaire ». Une université au service de la société. Un défi constructif qui amène aussi à une question directe celle des « ressources » (entendez : financement et habilitations). Comme pour l’énergie, il s’agit des « ressources » qui doivent être durables et en adéquation avec la mission universitaire, des ressources d’une utilisation ciblée (c’est-à-dire avec cohérence) et rationnelle (c’est-à-dire sans gaspillage et sans dispersion). 

 

Et bien puisque c’est cela l’enjeu, ne peut-on pas en parler en ces termes-là ? Simplement et directement ?

Et bien non. La question du paysage, on me l’a posée de nombreuses fois depuis mon élection. On me pose la question en termes d’un club de rencontre : « qui fusionne avec qui », « qui va s’allier avec qui » ou « quel type d’alliance » … La Fédération s’est-elle transformée en un gigantesque club de rencontre ? Un « meetic.be » de l’enseignement ?

Sans vouloir offenser personne, je pense que le monde politique, lui, est déjà dans ce meetic gigantesque. Quel que soit le binôme de partis politiques que vous prenez :  on est soit dans un couple traditionnel, soit en union libre, en fiançailles par-ci ou en divorce mal digéré par-là, ou encore en approche de séduction appuyée … en fonction du niveau de pouvoir où l’on se trouve.

C’est peut-être normal pour le monde politique… Mais pour nous, les universités, supposées être un lieu de savoir et de sagesse, sommes-nous obligées de répliquer à l’identique cette approche-là par concurrence et par alliance ? Les universités méritent mieux que cela !

N’est-il pas plus sage, plus raisonnable, plus en cohérence avec ce que nous sommes, de parler directement des problèmes qui se posent c’est-à-dire du financement et des habilitations ?

J’appelle de tous mes vœux à ce dialogue franc, direct et constructif et plus rationnel en énergie. Un dialogue orienté « co-construction  plutôt que « blocage mutuel » (Co-blocage ? Je ne sais pas si ce terme existe mais ça me fait penser au jeu de « tu me tiens, je tiens par la barbichette »). C’est ce système qui me semble le plus énergivore, le contraire de la durabilité, et le plus rigide, le contraire de l’agilité.

Le monde politique, sans doute bien intentionné et copiant son propre fonctionnement, a cru bon de mettre en place des usines à gaz, des structures en couches multiples, des structures qui permettent à tout le monde de bloquer tout le monde. Est-ce bien raisonnable ?

 

Ne pouvons-nous pas nous arrêter un instant, prendre du recul et décider ensemble de construire notre avenir via un autre dialogue ? Un dialogue simple, franc et constructif.

Autrement dit, la concurrence est-elle inéluctable ou est-elle (au moins en partie) la conséquence malheureuse d’une enveloppe fermée ? Et fut-elle inéluctable, est-ce que la meilleure solution pour gérer cette concurrence est vraiment la création d’usines à gaz et de lasagnes institutionnelles dans lesquelles c’est la logique du blocage mutuel qui prime ?

 

Voilà mon coup de colère !!! Ma colère sur la question du positionnement dans le paysage, ou plutôt sur la façon de la poser.

 

Et je réitère mon appel, à tous les partenaires politiques, à tous mes collègues universitaires, à gérer ensemble notre avenir en dépassant la fatalité de la concurrence et du blocage mutuel.

 

Maintenant, et comme je l’ai promis au début de mon intervention, je n’esquiverai pas la question de l’avenir de l’Université de Namur dans son paysage. Les mouvements, en surface comme en profondeur, sont bien là. Le financement n’est pas infini et nous ne sommes pas aveugles. Ce que je peux affirmer aujourd’hui, c’est que l’UNamur ne restera pas très longtemps attentiste en observant simplement le paysage. Notre travail de discernement est important et les Namurois peuvent paraître lentsmais les apparences sont parfois trompeuses. L’UNamur a des ambitions et entend bien les affirmer. Et quoiqu’il advienne du travail de discernement, nos ambitions vont sans le moindre doute vers une université qui regarde sereinement son avenir. Une université qui entend assurer sa mission universitaire en tant qu’université, c’est-à-dire de l’enseignement dans les 3 cycles et de la recherche de haut niveau. Une université qui entend assurer ses missions d’une façon spécifique liée à son histoire, à ses valeurs et à son environnement local. Une université qui entend assurer sa mission d’une façon durable, c’est-à-dire avec plus de cohérence dans nos habilitations… et plus de moyens en adéquation avec nos missions : mission universitaire, mission spécifique, mission durable.

Voilà notre ambition ! L’UNamur n’a pas peur de son avenir.

 

Retrouvez tous les discours prononcés par le recteur de l'UNamur lors des rentrées académiques via ce lien:

https://www.unamur.be/universite/discours-recteur/discours-de-rentree